X

Le Métier d’Historien en Algérie : entretien avec Amar MOHAND-AMER

by Stanislas Frenkiel

Histoire

Le Métier d’Historien en Algérie : entretien avec Amar MOHAND-AMER

Source : Stanislas Frenkiel. APHG du 15 Mar 2019 .


Bonjour Amar, pouvez-vous vous présenter, revenir sur votre formation et objets de recherche ?
Après avoir décroché mon doctorat en histoire en avril 2010 à l’Université Denis Diderot (Paris 7), j’ai intégré le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle, CRASC, Oran, en tant que chercheur à la Division Socio-anthropologie de l’histoire et de la mémoire (HistMém). J’occupe, actuellement, la fonction de directeur de la Division HistMém et celle de directeur-adjoint du comité de rédaction d’Insaniyat, la revue du CRASC. Je suis également membre du comité de rédaction de l’ARB (Africa Review of Books/Revue Africaine des Livres), revue éditée en collaboration avec le Conseil pour le développement en sciences sociales en Afrique, CODERSIA à Dakar. Je suis membre de la Commission nationale d’agrément et d’homologation des manuels scolaires (Ministère de l’Éducation Nationale). Je fais aussi partie du Forum de Solidarité Euro-Méditerranéenne, de Lyon (FORSEM), association constituée de militants associatifs et universitaires, notamment des historiens. J’ai été, pendant deux années, directeur-adjoint chargé de la recherche scientifique au CRASC et membre de son conseil scientifique. J’ai enseigné de 2013 à 2016 l’historiographie en master 1 et 2 de l’Université Ahmed Ben Bella d’Oran et l’histoire de l’Algérie (1830-1962) aux officiers militaires de l’École supérieure de l’air de Tafraoui, Oran.

Actuellement, quelle est votre institution de rattachement ?
Le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle, CRASC, Oran.

Quelle est sa spécificité ?
Le CRASC est une institution nationale de recherche, créée en 1992. Elle relève du Ministère de l’enseignement et de la recherche scientifiques. Le CRASC est connu pour son attachement et combat pour la promotion d’une recherche scientifique académique, ses nombreuses publications (en particulier, sa revue Insaniyat) et son ouverture à l’international. Les missions du CRASC s’articulent autour de cinq volets : développer la recherche fondamentale et appliquée en Anthropologie sociale et culturelle, en liaison avec les besoins du développement national ; effectuer toutes recherches présentant un intérêt pour l’avancement des sciences sociales et humaines en Algérie et contribuer à la valorisation de leurs résultats ; assurer la formation, le perfectionnement et la qualification des chercheurs et du personnel de soutien à la recherche ; organiser et promouvoir des rencontres entre chercheurs en vue de favoriser les échanges et la maîtrise de l’information scientifique ; valoriser la recherche (publications des résultats des projets d’établissement du CRASC).

Le CRASC abrite au sein de son siège à Oran quatre divisions : socio-anthropologie de l’histoire et de la mémoire, Villes et territoires, anthropologie de l’éducation et systèmes de formation et imaginaires et processus sociaux. Il est en charge aussi de quatre unités de recherche, deux à Oran, l’Unité de recherche sur la culture, communication, langues, littératures et arts (UCCLLA) et l’Unité de recherche en traduction et terminologie (URTT) ; une à Blida, l’Unité de recherche sur les systèmes de dénomination en Algérie (RASYD) ; et une à Constantine, Unité de recherche sur les territoires émergent et la société (TES). La division de recherche « socio-anthropologie de l’histoire et de la mémoire » est chargée de mener des travaux de recherche et des études sur les conditions de fabrication du savoir historique, de la mémoire collective et les modalités de leur diffusion, ainsi que sur la connaissance et la représentation du passé de la société algérienne, de son environnement géopolitique et civilisationnel. Ses pôles prioritaires de recherche sont : les Institutions, faits de mémoire et récolte des sources et savoirs-faire et patrimoines matériel et immatériel.

Comment la discipline historique est-elle enseignée au niveau primaire, secondaire et universitaire en Algérie ?
La discipline historique en Algérie est étroitement associée à la Guerre de libération nationale (1954-1962). Par conséquent, cette séquence de l’histoire nationale est omniprésente dans l’enseignement, notamment dans les cycles primaire et secondaire. Après avoir promu un roman national mythifiant la lutte contre la colonisation et défendant une histoire d’un peuple uni et héroïque, on assiste, depuis une trentaine d’années, à un changement conséquent de paradigme, dans le sens, où un intérêt de plus en plus en plus important, est donné aux acteurs.

Autour de quels grands principes méthodologiques s’ancre votre travail ?
Je travaille selon une approche interdisciplinaire sur un ensemble de thématiques. Celles-ci relevant notamment de l’histoire politique et l’histoire sociale. Je m’intéresse à l’histoire dans sa dimension locale et celle relative au temps présent. Ces thématiques s’inscrivent dans une logique générale. Celle-ci s’articulant, essentiellement, autour de la situation coloniale, des moments de rupture et de basculement, des modes de résistance, des questions de légitimation, (dé)légitimation et (re)légitimation dans un contexte de crises politiques, des trajectoires et parcours personnels, de la violence en temps de guerre (colonisation), de la mémoire et son interaction avec le changement social actuellement, ainsi que les enjeux mémoriels …

Plus généralement, quelles sont les conditions de travail des historiens en Algérie ?
Depuis 1988, date de l’ouverture relative du champ politique, le travail de l’historien est plus libre. Il est très rare de subir des pressions ou être l’objet de censure. Les sujets tabous, très nombreux dans un passé récent, sont presqu’inexistants. Cependant, d’autres pesanteurs pèsent sur le métier d’historien tels que l’accès difficile aux fonds d’archives conservées dans les institutions publiques algériennes, la rétention des archives privées par les familles ou les fondations mémorielles, empiétement du champ historique par les porteurs de mémoire,… À cela, il faudrait ajouter la difficulté, de plus en plus, de venir en France pour consulter les considérables fonds conservés à Vincennes, la Courneuve, Aix-en-Provence et dans les autres institutions de recherche françaises et européennes.